Peut-on encore se tromper ?
La peur d’être enterré ou incinéré vivant angoisse encore aujourd’hui les Français. Internet relate régulièrement des anecdotes dans lesquelles une personne se réveille à la morgue. Certes, la plupart du temps, cela se passe à l’étranger, dans des pays généralement en voie de développement. Mais chez nous aussi il peut y avoir des erreurs, comme en témoignent parfois la rubrique des faits divers.
Rassurez-vous ! Les professionnels funéraires n’ont jamais vu un corps se réanimer dans un four ni retrouvé un mort ayant gratté l’intérieur de son cercueil. Ces images angoissantes ont été inventées pour faire peur à ceux qui s’y prêtent.
Dans la réalité, qu’en est-il ?
Technologie ou simple constat ?
La technologie médicale, si sophistiquée en matière de soins, n’intervient paradoxalement que dans 2% environ des constats de décès. En effet, depuis les progrès de la médecine de réanimation et la définition fin des années cinquante du coma dépassé, deux catégories de mort sont reconnues par la médecine :
- la mort dite «chaude», qui se définit comme une perte complète et irréversible de l’activité cérébrale. Le corps est encore chaud car les activités vitales (respiration, battements cardiaques) sont encore assurées grâce au soutien d’appareils. Distinguons le coma simple ou profond, pendant lequel les fonctions vitales sont encore commandées par le cerveau, et le coma dépassé, qui nécessite le concours d’appareils pour maintenir les fonctions vitales. Le droit associe l’existence juridique de la personne au maintien de sa capacité de conscience. Quand une perte irréversible de conscience est constatée, notre législation considère que la mort cérébrale autorise l’arrêt de l’ensemble des questions vitales. Les appareils sont alors débranchés à la suite d’une procédure de constat bien précise (voir notre encadré).
- la mort dite «froide», qui se constate à la suite de l’arrêt des fonctions vitales. C’est le constat le plus naturel, réalisé depuis la nuit des temps et complété désormais par la prise de connaissance du dossier médical ou une rapide évaluation des circonstances morbides par le médecin signataire du certificat de décès.
98% des constats de décès sont pratiquement réalisés comme depuis des millénaires. Cela ne pose aucun problème de diagnostic quand le constat de décès est ensuite confirmé par l’apparition de signes positifs de la mort.
Signes négatifs de vie puis positifs de mort
La mort est un long couloir dans lequel une personne s’éloigne définitivement du monde des vivants. Il est difficile de savoir quand elle entre dedans et tout aussi difficile de savoir quand elle en est définitivement ressortie pour pouvoir attester qu’elle est réellement et définitivement morte.
Pour comprendre la complexité de la question, imaginez vous en face d’une locomotive à vapeur qui cherche à s’arrêter. Le corps humain fonctionne à plusieurs vitesses à partir de l’arrêt total des fonctions vitales :
- le cœur peut être réanimé en lui injectant directement de l’adrénaline par piqure à travers l’espace intercostal
- la digestion peut continuer pendant plusieurs heures
- les spermatozoïdes restent en vie 36 heures après le décès
La mort n’induit donc pas la cessation immédiate de toute vie dans le corps. D’ailleurs, via les processus de sa transformation, la vie continue son œuvre (sous l’action des bactéries).
En revanche, c’est l’impossibilité de maintenir désormais le fonctionnement vital d’une personne qui détermine le critère de constat de mort. Par exemple, la découverte d’un corps décapité dans un accident permet d’établir sur le champ un constat de mort. En revanche, la complexité du diagnostic sans faille conduit dans la plupart des accidents mortels à procéder le constat de décès à l’arrivée du défunt dans un centre de soins.
La méthode adoptée par le médecin chargé du constat consiste à vérifier cinq points sur le corps :
- absence ou non de ventilation respiratoire
- absence ou non d’activité cardiaque (stéthoscope ou absence de pouls pendant cinq minutes)
- absence de réflexe nerveux
- relâchement musculaire total
- facies cadavérique avec absence de réactivité pupillaire
- le tout complété par une analyse du dossier médical et/ou des circonstances du présumé décès
A l’appui d’une convergence de ces indices, le médecin peut signer le certificat par lequel il atteste avoir constaté le décès. Ce certificat doit répondre aux normes administratives (modèle-type comprenant deux parties, dont l’une est protégée par le secret médical, cachetée et destinée seulement à la connaissance des autorités publiques). A ce jour, le certificat en version papier est petit à petit remplacé par un certificat électronique envoyé par le médecin via son code d’identification personnelle.
Ces points convergents permettent d’établir un constat d’absence de vie. Ils ne peuvent attester la réalité de la mort car ce sont d’autres signes qui viennent la confirmer :
- Le relâchement des muscles annulaires dits sphincters. Ce type de muscle, strié, est très sensible à l’absence d’irrigation sanguine. Bien entendu, on pense au muscle annulaire de l’anus dont le relâchement provoque des pertes de matière si les intestins en restent chargés (une telle perte intervient souvent en amont, lors de l’agonie). Néanmoins, un autre sphincter existe : la pupille de l’œil dont le relâchement est connu sous l’appellation de la mydriase. Ce phénomène est naturel quand l’œil vivant doit s’accommoder à des variations de lumière. Quand la mort survient, la pupille se dilate par relâchement définitif. Plus tard la cornée perd sa transparence.
- L’absence d’irrigation sanguine affecte ensuite les chairs. Le corps produit de l’acide lactique qui entraîne une baisse du PH (acidification). Quelques heures après le décès, les muscles se raidissent sous l’effet de cette acidification (rigidité cadavérique, processus similaire à la crampe musculaire). La poursuite de modification chimique des tissus débouche ensuite sur la disparition de la rigidité. Plus le défunt est jeune est musclé et plus la rigidité et importante et durable. Les personnes âgées et affectées par de longs soins chimiques peuvent ne pas connaître d’étape rigide de leur cadavre.
- Bien entendu, la température du corps s’abaisse corrélativement à l’arrêt des fonctions vitales
- La force de gravité s’applique aux liquides du cadavre. Le sang, avant d’être figé, se regroupe dans les parties basses et accessibles du corps (cou pour le sang dans la tête, fesses et dos pour le sang dans le tronc). Les médecins appellent cela des «lividités cadavériques». Le placement de ces lividités est important en cas d’analyse par des médecins légistes car leur situation dans le corps permet de situer la position dans laquelle était le corps pendant les premières heures suivant le décès.
- Les bactéries existant dans le cadavre, désormais libérées par l’inactivation des défenses corporelles du vivant, peuvent alors envahir les cavités corporelles (poumons, estomac, viscères) et ensuite se propager dans les chairs pour gagner finalement la peau en surface. En général, ce phénomène est trop lent pour gêner la possibilité de veiller un défunt pendant les funérailles. Cependant, il provoque l’apparition d’une tache verte sous cutanée à hauteur du foie.
Voilà donc une série d’indices qui témoignent du travail de transformation du cadavre par la mort. Ce sont ces signes positifs de mort qui peuvent prouver valablement un décès et non le constat de signes d’absence de vie qui permet seulement d’éditer un certificat à simple valeur administrative.
Il est toujours possible d’ajouter d’autre preuves corporelles (noircissement des ongles, relâchement de la mâchoire inférieure, formation d’eau et enfoncement des globes oculaires, émanation extracorporelle de gaz, fermentation dans le ventre). L’important est néanmoins de constater la progressivité du processus de transformation du cadavre.
C’est l’observation de cette dégradation qui a toujours permis d’être sûr de la mort de quelqu’un.
Quand le doute est permis…
Comme nous l’indiquons plus haut, il y a aujourd’hui deux catégories de mort. La mort «chaude» induit un constat réalisé en milieu de soins et utilisant une technologie avancée. Elle doit mettre en évidence une absence totale d’irrigation sanguine du cerveau, ce qui équivaut rapidement à la mort irréversible des neurones.
Pour effectuer ce constat, l’électroencéphalogramme est intervenu, mesurant l’activité des ondes cérébrales. La règle de base fut fixée à deux électroencéphalogrammes plats sur une durée d’observation de trente minutes espacés de quatre heures. Cette méthode a été complétée par l’angiographie qui consiste à injecter en carotide une substance à rayonnement rendant capable le suivi d’une mobilité intra-artérielle. Compte tenu d’une différence de nature d’observation, l’encéphalogramme pour la conséquence de l’activité cérébrale et l’angiographie pour la condition préalable à celle-ci, la deuxième méthode est réputée plus sûre. Néanmoins, le choix de l’une ou l’autre des méthodes n’écarte pas la nécessité d’un complément par test de réactivité à l’examen neurologique.
Ce détail est d’autant plus important que le Conseil de l’ordre des médecins recommande un espacement de 24 heures entre les deux encéphalogrammes et la plus grande prudence doit s’exercer à propos des constats effectués sur des individus jeunes, à fortiori âgés de moins de cinq ans.
Fort de tous ces détails, il est permis de penser que le système de constat sur mort «chaude» est fiable tel qu’il est exercé en France. En revanche, toutes ces précautions ne valent que pour une proportion de 2% des décès.
Pour 98 % des autres, la preuve de la mort «froide» ne peut intervenir que par l’association convergente de deux étapes : le constat médical d’absence de vie suivi ensuite de l’apparition progressive, sur le cadavre, de signes démontrant sa transformation.
De toutes époques, la mort n’a pu être valablement observée qu’au moyen d’un délai d’expectative entre le moment où la mort est supposée et celui où celle-ci est confirmée. Dans les pays chauds, la décomposition intervient suffisamment rapidement pour valider un délai court d’observation du cadavre. Dans les pays plus tempérés ou froids, le délai d’observation s’allonge : 24 heures en France, 36 heures en Europe du Nord.
De l’antiquité à nos jours, la nécessité de ce délai d’expectative s’est confondue avec les coutumes d’exposition publique du cadavre. En Grèce, il était enduit d’une huile camphrée permettant le ralentissement de la décomposition, le corps étant veillé neuf jours (pour lutter contre leur viol, entre autres raisons). Au moyen-âge, ce temps d’exposition s’est réduit à six jours puis trois, sur une pierre de présentation qui était souvent à l’intérieur des églises.
Le délai réglementaire d’expectative des 24 heures avant l’inhumation est intervenu au 19ème siècle, période durant laquelle les nations européennes ont fixé leurs règles en la matière. Parallèlement à cela ont été inventées après 1870 les premières chambres funéraires aux fins d’observer le non retour à la vie des défunts pendant le délai d’expectative. On accrochait alors une clochette à un orteil pour entendre celle-ci au cas où un pseudo défunt viendrait à se réveiller.
Depuis, les mœurs ont bien changé. Les techniques aussi.
L’apport administratif a joué pleinement par voie de création d’un institut national de veille sanitaire. La statistique a permis de surveiller le travail des médecins et d’éradiquer de ce fait ceux qui s’entendaient avec les héritiers pour des empoisonnements réguliers ou des déclarations de décès abusives ou complaisantes (folklore sinistre du 19ème siècle).
Le doute était de mise à l’époque et le code napoléon prévoyait, article 77 du code civil, que l’officier d’Etat Civil ou un médecin assermenté aille constater sur place la réalité d’un décès. L’abrogation de cette disposition est assez récente (1960).
Elle a permis notamment d’écarter en pratique le respect du délai d’expectative des 24 heures.
En effet, si un moulage du visage ou l’autopsie médicolégale doivent encore attendre l’écoulement d’un délai de 24 heures, l’exécution des soins de conservation échappe à cette règle faute d’y avoir été explicitement soumise.
A la poursuite de la preuve
Les professionnels de médecine ont tout essayé pour établir au plus vite la réalité d’un décès, bien avant que les signes positifs de la mort n’interviennent comme une confirmation irréfutable.
L’acidité des tissus tout d’abord. Un réactif, le bleu de bromothymol, imbibait un fil qui était enfilé par aiguille dans le muscle. Sa conversion de couleur en vert indiquait, trente minutes après la mort, un début d’acidification du corps. Mais ce test avait le tord de ne prouver le processus que localement, sur la partie sondée. Or la mort est un processus général dans le corps. Preuve insuffisante donc.
La circulation sanguine ensuite. Les médecins ont longtemps «prouvé» la mort avec le test à la fluorescine, matière injectée en artère et venant colorer l’œil si une circulation sanguine demeure. Mais ce test n’était pas capable de déceler une irrigation résiduelle mais suffisante pour sauvegarder le cerveau. Il fallait lui préférer le test à l’éther. Celui dit de Rebouillat consiste à injecter de l’éther sous la peau. Peine perdue pour la même raison que le test au bleu de brothymol. En revanche, si vous versez quelques gouttes d’éther sur l’œil, l’absence de congestion de celui-ci indique clairement que le sang est absent, donc que l’œil est mort. Or l’œil est une prolongation proche et directe du cerveau. L’un et l’autre sont généralement irrigués de la même façon.
De leur côté, les thanatopracteurs, en exercice de soins sur un défunt, doivent tester avec circonspection la réalité du décès si le délai des 24 heures ne s’est pas écoulé avant l’intervention. La technique équivaut à l’artériosectomie, sectionnement d’une ou deux artères (au mieux l’artère fémorale). Un écoulement résiduel doit alors être interprété avant de procéder à la suite de l’opération.
Folklore
On aura tout dit sur la façon de tester la réalité d’un décès. Les apprentis en linguistique vous diront avec une assurance sans fondement réel que le mot croquemort se rapporte à l’obligation de tester le défunt en lui mordant un orteil. Il n’en est rien. Le croquemort, comme le croquant pour les travaux agricoles ou le croqueur en verrerie ou le croquis en dessin revoie à la notion d’attraper (croquer). En revanche, c’est lui qui, avant la révolution, attestait officiellement la mort de quelqu’un, si tant est qu’un état civil exista à cette occasion.
A cette fin, il disposait d’un piquant avec lequel il sondait la plante des pieds (test neurologique aujourd’hui).
L’imagerie populaire nous montre la disposition d’une plume sur la bouche pour tester la ventilation respiratoire ou le test au miroir pour la même raison. Il n’en demeure pas moins que la bonne vieille règle consistant à attendre l’apparition des signes positifs de la mort reste une référence universelle et infaillible. Mourrez tranquilles donc mais ne vous précipitez pas pour aller au cimetière ou au crématorium…